samedi 26 mai 2012
Jeux de rôles : attention danger, non mais vraiment...
Je viens de lire l'appel d'une bonne chrétienne qui ressent le jeu de rôle comme démoniaque voire diabolique. Je suis choquée.
En tant que jeune femme qui a grandi dans la foi Chrétienne, qui a choisi de pratiquer ou non le dogme, qui a regardé les toutes premières séries TV de vampires, qui a expérimenté le jeu de rôle ludique sur table, thérapeutique et aussi le grandeur-nature, qui a vécu l'arrivée d'Internet, je pense pouvoir vous décrire de manière plus tangible les dangers de ces pratiques.
Ici, je ne parlerai que des jeux à but non-thérapeutique.
Les univers
Comme dans les livres, on trouve plein d'univers dans le jeu de rôle. Du médiéval, du 18ème, années 1930, du gréco-romain, du post-apocalyptique, du contemporain... chacun pouvant être fidèle à la réalité historique ou additionné d'un certain degré de fantaisie.
L'univers, l'histoire du monde dans lequel évolue le personnage, définira forcément la psyché de celui-ci et ses réactions. Tout comme un lycéen lambda ne sortira pas une épée de 2 mètres pour tuer le professeur qui l'a collé, on ne peut pas espérer qu'un chevalier/paladin de la lumière tende l'autre joue à une créature maléfique qui attaque le village des paysans.
Le choix du personnage
Oui, le joueur est tout-puissant. Il peut prendre n'importe quelle décision... et en subir les conséquences. Le joueur possède ce que l'on appelle le libre-arbitre.
En revanche, ce joueur, s'il a le sentiment d'être fait à l'image d'un Dieu, n'en est pas un. Tout comme l'ont vécu Adam et Eve, le Meneur de jeu veille, il pose des limites, recadre si nécessaire et fait pleuvoir les épreuves qui testent le personnage.
L'espace de quelques heures, le joueur peut se mettre dans la peau d'un autre. Un enfant peut agir comme un adulte, choisir pour lui-même. Un handicapé moteur peut courir dans les bois. Une femme peut devenir un homme. Un gringalet peut devenir un chevalier et défendre les opprimés.
Oui, vous aurez aussi des joueurs qui décideront d'interpréter (et ce mot est important) un être maléfique, violent, psycho ou sociopathe, voire simplement un être qui est obligé de tuer pour pouvoir survivre.
Lorsque j'ai commencé à jouer, on m'a dit de créer un personnage proche de moi, car l'interprétation est plus facile. Rien de pire à une table qu'un joueur qui agit selon ses propres croyances/envies/craintes au lieu de diriger son personnage selon les croyances/envies/craintes qui lui sont propres et qui sont décrites dans sa fiche. Il y a d'ailleurs très peu de bons joueurs, surtout avant 30 ans, capables d'interpréter un méchant vraiment méchant sans lui donner un côté neuneu. Un vrai travail de comédien.
J'ai commencé par un druide qui soignait les gens, mais n'hésitait pas à prendre les armes pour défendre sa cause. J'ai joué un chevalier nain pourfendeur de dragons totalement narcissique, une guerrière orc avec un problème de confiance en elle, une bikeuse vampire bisexuelle membre d'un gang, une fillette de 12 ans et son club des cinq, une femme au foyer dont le père venait de mourir, un puceau accroché à son ordinateur amoureux de LA pompom-girl, une secrétaire du Ministère du Travail opportuniste...
A travers ces personnages, écrits ou non par/pour moi, j'ai vécu des situations improbables, et j'ai compris comment je réagirais en tant que personne. J'ai beaucoup appris sur moi-même, sans avoir à subir les traumatismes physiques éventuels.
La durée du jeu
Il existe des jeux courts (une session) ou des campagnes (même histoire sur plusieurs sessions).
Autant dans un jeu court il est possible que tout se passe la nuit, car les personnages agissent sur six heures, et l'action commence par un dîner, par exemple ; autant dans une campagne, à moins que vous ne jouiez un personnage atteint de Xeroderma pigmentosum, vous agirez aussi de jour.
En temps réel, c'est le niveau de fatigue des participants qui limite la durée du jeu. Cependant, les participants sont en général entre amis, et font du jeu de rôle un bon moment passé ensemble de manière régulière, parfois sur des années.
Danger, pas danger ?
Comme pour tout loisir, le joueur peut développer une telle passion qu'il y consacrera tout son temps, et dans certains cas, son argent. Si l'on s'arrête ici, ce n'est pas plus dangereux que le foot ou le tuning.
Est-ce que jouer influe sur la personnalité de l'enfant, sur son développement ? La réponse est oui.
Le jeu de rôle permet d'incarner un personnage qui possède en général une qualité ou un défaut exacerbé, permettant ainsi à l'enfant d'en tester les limites. Mettre en scène ses peurs est la base du jeu de rôle thérapeutique proposé par les psychologues. Ici, l'enfant a tout un monde pour extérioriser ses peurs, vivre ses fantasmes et réaliser ses rêves.
Un enfant qui se fait embêter à l'école car il est faible pourra dans ce monde devenir un héros. Il prendra confiance en lui et peut-être qu'un jour il osera tenir tête à ses vrais agresseurs (quitte à aller à l'école avec un bouclier en carton comme doudou).
Un enfant qui trucide une armée de trolls à coups de masse d'arme dans des gerbes de sang sous un orage qui gronde... est un enfant normal. Je suis bien plus rassurée par une bagarre à coups de dés autour d'une table que par un jeu dans l'herbe où ils crient, se lancent des balles et se tapent dessus avec des armes en mousse. Pourquoi ? Parce que la violence physique peut déraper, alors qu'autour d'une table, il arrive qu'on élève la voix, mais on a une barrière physique - la table - qui empêche (in)consciemment d'en venir aux mains.
C'est une activité de groupe, sociabilisante, et bien moins stressante qu'un jeu vidéo. J'ajouterais que dans le jeu vidéo, si votre personnage meurt il suffit de presser un bouton. Dans un JdR, vous essayez de ne pas mourir car faire une nouvelle fiche, ça prend du temps et de la réflexion !
Les limites
C'est la question que se posent beaucoup de parents : où s'arrête le jeu.
Sur table, le jeu commence quand on sort sa fiche de personnage, sa trousse de dés et son crayon. Il s'arrête quand on range ces mêmes accessoires. C'est un peu notre "Crik-crak : l'histoire est dans le sac" à nous.
En jeu de rôle grandeur-nature (GN), où vous incarnez physiquement votre personnage - tout comme les personnes qui font de la reconstitution historique - c'est un peu plus compliqué.
Vous enfilez votre costume. Vous attendez que les organisateurs vous donnent les dernières explications. Le top départ est souvent une cloche, ou alors le fait de passer la porte du bâtiment. Le jeu se termine en général avec une cloche, des applaudissements ou autre chose, et on reste en costume à rire entre joueurs, boire du soda (inexistant dans beaucoup d'univers) et parler des scènes mémorables.
Il existe aussi du GN dit persistant, c'est à dire qui peut être joué 24h/24, à l'envie des joueurs. Ces jeux sont souvent contemporains, joués dans les lieux publics, avec une quarantaine de participants, identifiés par un badge. Avec badge : je suis le personnage. Sans badge : je suis le joueur, moi-même.
Ce type de jeu est rare, et déconseillé aux moins de 20 ans du fait de la finesse des limites. L'équipe d'encadrement veille au grain, et n'hésite pas à recadrer, voire expulser les joueurs qui s'y croient un peu trop.
Pour y avoir joué, et et me connaissant, j'ai décidé que mon personnage ne me ressemblerait pas, et j'entrais donc dans sa peau en enfilant une perruque et des lunettes.
Et Dieu, dans tout ça ?
Pour prendre comme exemple Donjons et Dragons, le jeu le plus connu, sachez que c'est un monde très biblique : le concept de base consiste à envoyer les gentils chevaliers du Bien dans un lugubre donjon pour tuer un dragon maléfique.
L'univers est dualiste : les légions du Bien versus les légions du Mal. Le Mal cherche à corrompre le Bien, et le Bien cherche à détruire le Mal.
Le Meneur de jeu, tout comme Dieu, envoie une série d'épreuves aux joueurs, afin de tester la cohésion du groupe, de mettre le personnage face à des dilemmes, et éventuellement de renforcer sa foi - celle du personnage - envers la déité qu'il sert (il y a divers panthéons, tout comme dans notre monde réel).
Certains vénèrent un Zidane ou un Platini. Dans le jeu de rôle, aucun souci de ce côté-là : vous, en tant que joueur, êtes le seul être admirable. Vous ne pouvez que tendre vers votre propre idéal. Si votre idéal est Dieu, jouer un paladin de la Lumière à la droiture incomparable et la chasteté exemplaire, ne fera que renforcer votre Foi.
Que faire quand votre enfant est un rôliste / GNiste
Votre enfant a une passion : c'est déjà bien mieux que beaucoup de jeunes télévisés de son âge !
Parlez-en
Quand vous avez une bande de 3 garçons de 10 ans qui vous racontent comment ils ont sauvé le village en faisant tomber le géant dans un volcan, et qu'ils ont des étoiles plein les yeux c'est très beau. Bon, il n'est pas toujours facile de comprendre le vocabulaire technique, mais au moins vous parlez, il en est fier, et vous pouvez lui demander pourquoi il n'a pas agit plutôt de telle ou telle manière, comme vous l'auriez fait.
Jouez avec lui
Ma Môman, comme toutes les mamans, n'était pas très rassurée que je passe une nuit par mois déguisée en vampire avec ces inconnus qu'étaient mes nouveaux amis. Elle est venue voir, et elle a été obligée de jouer. Passé 1h du matin, elle était encore là, dans son personnage, à essayer de convaincre mon personnage de lui révéler ses secrets.
Elle a découvert que mes nouveaux amis étaient des gens normaux, même plutôt bien dans leur peau et dans leur tête comparés à la moyenne. Entre 20 et 40 ans, étudiants ou cadres supérieurs, célibataires ou déjà parents... Elle a été frappé par leur capacité à faire la différence entre la vie et le jeu, notamment quand l'un des personnages a fait une crise de folie, attaquant tout sur son passage, et que le joueur, une fois maîtrisé, s'est excusé à vois basse de lui avoir marché sur le pied en passant.
Elle a aussi découvert que le fait de jouer dans un monde de ténèbres, permettait d'exorciser ce côté sombre, souvent en le tournant en ridicule.
Soyez heureu(se) qu'il quitte son portable/ordinateur
J'ai grandi dans une certaine solitude, et j'ai vraiment commencé à m'ouvrir aux autres grâce au jeu de rôle. Rencontrer et discuter avec de vraies personnes, revoir ces personnes en-dehors du jeu, même voyager en France pour des weekends en costume, permet de grandir dans un cadre où l'imagination a toute sa place, et où vous-mêmes posez les limites.
Il se mettra éventuellement à la peinture de figurines, à la couture de costumes, même à des cours de théâtre pour pouvoir mieux interpréter. Il se renseignera sur l'histoire (médiévale le plus souvent), sur des points précis concernant le matériel du personnage (réparation d'une épée, tannerie...), il passera ses journées le nez dans des livres et apprendra l'Anglais pour converser sur des forums internationaux...
Je terminerai en précisant que le nom du jeu ne correspond pas forcément à son contenu :
Pavillon Noir est un jeu de pirates
Donjons & Dragons a rarement un dragon dans le scénario
Maléfices concerne les Brigades du Tigre
Lycéennes, où vous jouez donc des lycéennes, transposable en toute époque/lieu (novices de couvent, terreurs de jardin d'enfant...)
Brain Soda où vous interprétez un acteur de film de série Z caricatural et kitsch
Feng Shui est un univers de films de gangsters asiatiques
Munchkin qui parle de monstres, donjons et chevaliers zinzins
Cendres se passe dans une France au climat quasi Canadien
Je vous invite à vous renseigner auprès des associations locales, qui sont régulièrement présentes sur des salons grand public et proposent des initiations en journée et très encadrées.
L'association Opale Rôliste est connue, tout comme la Fédération Française.
Sur une idée de
Eve
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Chouette article que je me suis empressé de relayer dès que je suis tombé dessus.
RépondreSupprimerEt pendant que j'y suis, comme je suis gourmand, je vais aller voir un peu plus loin dans le blog, j'y ai aperçu des recettes sympa.
Merci encore pour ton témoignage très sympathique.
Un article intéressant et personnel, j'aime bien, merci.
RépondreSupprimerj'applaudis, j'approuve, et je certifie conforme, merci !
RépondreSupprimerClaude Figuères
J'adore cet article! Et puis en plus tu cites Opale Roliste (dont je fais partit). Je ne peux qu'applaudir avec les deux mains! ^^
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